Ecrit suite 1

 

Animalité qui nous raffraichit : quand, épuisé ou démotivé, nous nous rendons le soir à une séance d’animalité(aïkido, ou yoga ou…) conduite par quelqu’un d’autre.

Nous nous retrouvons, un soir avec Toto, avec la même sensation. Nous nous sommes tous les deux, chacun de notre côté, forcés à aller pêcher en eaux étrangères. J’étais septique de ce cours de yoga à 5€ la séance avec thé « yogique » et discussion philosophique en dessert. Le résultat est très intéressant. Malgré mon antipathie et mon manque d’entrain pour une approche lente et ennuyeuse du yoga(3 postures en 2 heures), j’apprends plusieurs choses essentielles.

           

Yoga et rencontre.

 

Même avec un prof baltringue on peut apprendre ou réapprendre des choses très intéressantes.

 

J’avais oublié la respiration yogique. La triple respiration qui détend, stimule l’odorat et masse les tensions de l’intérieur du corps. Je l’avais oublié car elle me paraissait un peu scolaire, occidentale, décortiquée. Les postures sont là pour nous mettre en position de respirer autrement et « naturellement »! Mais lors de cette séance où je me sentais particulièrement tendu, j’ai ressenti ce massage intérieure grâce aux sensations qui se dégagent lors de cette respiration : la pression sur les abdominaux, ou gonflement du ventre, l’écartement des côtes, puis la pression sub-claviculaire, qui semble repousser les clavicules et les épaules vers le haut. Le terme de sub-claviculaire m’est revenu d’ailleurs automatiquement quand j’échangeais de ces moments avec Tonio. Un joli mot qui me manquait et que je cherchais inconsciemment depuis des années.

            Monsieur Yogi nous a réuni en cercle autour de lui à la fin de sa séance pour nous éprouver l’intellect par la pertinence de ses questions.

            « la question que je pose toujours aux nouveaux venus : combien avons-nous de sens ? »S’ensuit une belle leçon pour crétinos enscolarisés. Heureusement, le thé à la cardamone nourrit mon esprit. Après ce préambule, la révélation : le 6ème sens, le sens mental ! Un peu scolaire comme approche, mais qui me fait rebondir car cette quête m’intéresse, somme toute !

Le sixième sens ? Ou un 7ème ? Nous percevons, c’est vrai, nos propres idées, comme des informations que nous transmettent nos sens. Et la perception des émotions, les siennes, et éventuellement celles d’autrui ? Pensées et émotions d’autrui sont-ils accessibles ? Perception des idées et perception des émotions seraient deux autres sens ?

Curieux aussi que tous les sens sont des parties du toucher.

Encore quelques remarques :

Si on veut jouer  au Socrate avec ses élèves, ils faut les subjuguer, ou les faire douter. Il faut un charisme suffisant !

J’apprends à nouveau à fermer ma gueule : je garde mes critiques, je grandis, je lutte contre mon antipathie car je peux apprendre d’autrui antipathique.

Je suis d’ailleurs super tendu, j’ai négligé le repos de mes muscles, excité comme j’étais de mes progrès. Je fais du yoga tous les jours depuis plus de 1à jours et le fait de pratiquer avec un groupe dont je subis le rythme me fait révèle cette tension, ces tensions nerveuses et physiques.

J’apprécie cependant ses exercices d’auto-massage et ses mouvements de relaxation.

            Je me dis en me voyant réagir aussi violemment que je dois être plus zen, moins fier de moi, moins agressif, plus tendre dans mes morsures. Par extension, en classe, être aussi plus doux et conquérant avec mes élèves.

 

2ème rencontre avec le yogi baltringue

Le baltringue pas si baltringue que ça. Plutôt maladroit. Quand on se prend pour Socrate (bis, mais l’image me plait), il ne faut pas être pris en délit de ne pas écouter assez profondément les idées de ses interlocuteurs. Etre assez puissant pour les juger vite ou botter en touche pour prendre le temps plus tard de revenir sur l’idée.

J’apprends à nouveau beaucoup : la salutation au soleil, légèrement différente, mais toute variante d’un plat qu’on adore est un ravissement. Nouvelles asanas : le loquet, mais surtout moitié de pinces, moitié de torsion.

Je le suspecte d’être d’origine hollandaise : morphologie anglaise m’avait sauté aux yeux. C’est là-bas, en Hollande qu’il avait appris le yoga et avait été séduit par le soi-disant 6ème sens :  la pensée mentale (idées plus sentiment comme l’injustice par exemple).

Je dois combattre mon intolérance à l’égard des maladresses d’autrui.  

Et son premier cours était aux antipodes de celui-là, bien plus dynamique.

J’ai ouvert ma gueule en critiquant vertement une collègue de yoga qui se désiste au dernier moment alors qu’il lui avait proposé de faire un cours à ses élèves ! Lui la défendait plutôt, charmé ou aveuglé sans doute. Cette critique de ma part a été un déclic. Je ne comptais pas m’attarder après le cours mais c’est lui qui s’est approché et m’a demandé si je connaissais la femme qui s’était désisté. De fil en aiguille, je lui ai parlé de ma pratique sur les bords du Maroni, de l’importance (équilibratrice) du yoga dans ma vie(à défaut de connaissance solide est structurée). Il me propose néanmoins de faire un cours à ses élèves !

 

Retour à la vie de la jungle

           

Moment particulier de la vie guyanaise : l’appropriation du coupe-coupe. Ces grandes lames peuplent une main mieux qu’une cigarette. Elle donne un peu d’assurance dans la forêt contre des rencontres imprévues : hommes ou serpents, cochons sauvages. Assurance trompeuse peut-être car je perds de l’agilité avec une telle arme à la main. Les serpents n’attaquent pas, parait-il. Je commence à me méfier des règles, déjà  si malléables concernant les comportements humain et reptilien.

Les copains se sont achetés deux beaux et longs coupe-coupes qui sifflent quand on sabre dans l’air, et crient en permanence : tranche ! Tranche ! Je joue avec bien sûr, et elle réveille une nouvelle fois ma connerie consubstantielle mais formatrice. Je veux trancher un petit tronc d’un seul coup, comme un samouraï, mais sans expérience de cette lame ou du mouvement. Au lieu de tâtonner, d’y aller tranquille, je me précipite. Je prends un angle trop aigu : la lame ricoche, du plat, sur l’extérieur de ma cheville ! Je suis stupéfait par ma connerie et je n’en parle même pas à mes compagnons tellement j’ai honte. La cheville enfle un peu et c’est la moindre des choses : que je sente dans ma chair la leçon à tirer.

La crique Tatou qui me porte poisse ou me fait grandir. C’est mon université de la jungle. Car j’y prends des risques tout juste hors limite : un bout de dent, un bout de cheville qui enfle. Des risques border-line.

 

Rencontre avec Enoch. L’histoire d’Enoch.

 

Grand blanc bec qui marche sous le midi à côté du vélo, même quand la route descend. Il suscite la surprise d’un môme qui marche lui aussi aux côtés de son destrier, mais en montant. « Il est crevé ! »Cohérence rétablie, petit rassuré. Rebelote un peu plus loin, un autre petit curieux se met à ma hauteur et m’dit :

« Cassé ?

Oui ! Je dois changer la roue !

J’peux t’aider, je sais mécanique

Moi aussi je dois savoir le faire, je réponds, jalousement !

J’peux t’aider gratuitement !

Bon on pourra réparer ensemble !

On continue à discuter un peu, on se donne rendez-vous pour l’heure d’ouverture des chinois de pièces détachés. A l’heure dite, il est là. On marche une heure en ville, de chinois en poste, tout en discutant. Je culpabilise un rien : est-ce que je perds mon temps à déambuler ainsi avec un môme collant ? Quelle société qui nous oblige à nous méfier de relation entre adultes et enfants ! Grand blanc et petit black.

Je refuse de m’asseoir à côté de lui quand nous attendons l’ouverture du Chinois. Je ne veux pas d’intimité, de contact physique.

« Fais attention avec les adultes, Enoch, ils peuvent être méchant !

Oui, ils peuvent nous insulter !

Ils peuvent te frapper, ou te faire du mal ! »

Sensibilisation délicate !

Nous réparons ensemble, je le laisse mener la barque et je m’aperçois qu’Enoch est  plus doué que moi en manipulation mécanique. A un moment, je montre un endroit où le pneu est mal enraillé dans la jante alors qu’il a déjà regonflé. Il repère tout de suite un moyen : il dégonfle, manipule le pneu dans ce qui me semble le mauvais sens et le tour est joué ! Je n’ai pas un âge de bricoleur/manipulateur très avancé : 6 ou 7 ans peut-être !

Tout travail mérite salaire, je le paye 2€ plus une boisson. Il m’accompagne sur les bords du Maroni, me regarde un peu faire le yoga puis va découvrir les jongleurs. Lundi soir, soir de jongle. Il revient vers les yogis un peu plus tard, nous imite en rigolant.

Nous discutons d’une grosse tâche que j’ai sur l’avant-bras. Les copines (infirmière d’ailleurs) pensent qu’il s’agit d’un champignon. J’observais depuis une dizaine de jours ce que je croyais être une morsure d’insecte particulier. Enoch connaît une plante qui peut soigner la « maladie d’ Rat ». Nous sommes très intéressés par ses connaissances. Enoch est un gamin de 11 ans pondéré, analphabète en 6ème normale. Il a 6 sœurs et un frère, et un papa trop gentil qui paye les voitures des autres.

            Le lendemain soir, il m’attend, à 6 heures, avec les feuilles. Ils en tire du jus et me fait frotter ce jus sur ma tâche. Rebelote yoga. Les amis sympathisent tout de suite avec ce ptit gars. Pendant le retour, son vélo canne à son tour. Il fait nuit, les voitures sont dangereuses sur les routes mal éclairées. Enoch a 20 bonnes minutes de marche à faire. Nous, nous avons un rendez-vous chez Boudiou pour picoler. Tonio et moi réfléchissons chacun de notre côté et nous rencontrons sur la décision : T. le ramène sur son guidon, moi je ramène le vélo ! 

            Conscience en paix : le petit m’apporte des plantes médicinales (je crois ferme aux remèdes locaux contre des maux locaux. Je fais conscience aussi aux pommades pharmaciennes, mais je préfère la pharmacie du cru) et nous l’aidons en retour. Ces équivalences sont malsaines car la relation est légèrement taboue : on ne fréquente un enfant que par l’entremisse d’une institution ou de ses parents. Ici, les enfants ont leur vie, mais nous en tant qu’adulte, nous sommes responsables. Je répugne à « profiter » de lui et je ne veux pas en faire un assisté que nous abreuverions de cocas et de glaces !

 

Un peu plus tard

 

Les pôtes ont soulagé mon présent de certains soucis futurs mais ils m’ont aussi entrainé dans un présent fougueux qui se vit sans se digérer  mais en se laissant remplacé par des émotions successives. Comme si on voyait trois films de suite : les émotions se remplacent les unes les autres au lieu de se juxtaposer ou de se mélanger.

 

J’observe les voitures du texas : Toyota 4*4 avec plate-forme arrière. La voiture de l’aventure, des petits chemins et des ranchs.

Quitte à acheter ici, autant déforester et acheter un terrain « vierge »en fin de piste. Le rêve ou l’aspiration de construire sa maison, sa yourte.

La seule chose qui ne me plait pas encore ici, c’est le boulot. Après, la Guyane est un cheval de Troie pour le monde. Une préparation climatique, sociologique. Les Blancs en minorité, enfin ! Coupure d’avec les routines et automatismes tueurs de temps. Que faisais-je seul, après le travail ? Des DVD, de l’anglais, fraterniser avec le frérot. Pas mal non plus en fait. Maintenant, je fais du yoga, je rencontre, je découvre. C’est aussi pour moi une découverte progressive de l’Afrique. Car tous mes élèves sont issus de marrons au Surinam depuis le début du 17ème siècle. Certains chefs ont même été à des rencontres au Nigéria entre Africains de souche et étaient très fiers d’avoir conservés des salutations typiques d’Afrique, par ailleurs incompréhensible par leur pair mais préservé dans la mémoire(FESTAC festival de culture nègres et africains, Botê/réponse Sikenai botè, et Lélembu/réponse : lélembu Kizambii)

 

Remarque socio-professionnelle

 

Parce que nous sommes salariés, je sens une pression pour ne pas trop en faire avec mon groupe d’élèves. Cette pression s’accommode parfaitement à mon caractère joueur, enfant, irresponsable. Je préfère jouer que faire jouer.

Mais je ne suis pas que le maître d’un groupe de gamins, je suis leur chef d’orchestre, leur gourou, leur animateur, leur ensorceleur. Ils sont mes danseurs, mes acteurs, mes partisans, ma police, mon peuple, mes bagnards, mes voleurs, mes balayeurs. Ils vont jusqu’à ranger mon bureau en faisant des gentils tas de feuille !

Un chef d’orchestre va-t-il faire le minimum avec sa troupe ? Quelle bêtise ! Quel suicide ! Il s’agit d’une créativité commune ! Je m’investis dans notre oeuvre, nos moments. C’est avec eux que je me réaliserai. Si je ne tente pas de me réaliser avec eux, je ne le tenterai qu’incomplètement dans ma vie propre. On ne peut bâcler sa vie du pied gauche et la bichonner du pied droit.

 

Petite aventure en solo

 

Saterday’s night fever ? For me, really ! Au point culminant de mon joug, de mon yoga, alors que la pénombre nous venait du couchant (c’est l’impression, curieuse, mais réelle), les paroles de Thiou m’ont guidé sensuellement. J’étais sur la tête, seul sur la grande pelouse à pratiquer le yoga. A 20mètres de moi, un bataillon de jeunes filles rigolardes essayent de construire une pyramide humaine. Je me concentre sur ma légèreté, j’ai l’impression de tenir sans effort. Mes pieds en lotus me permettent de relâcher mes cuisses. Tout va bien. Je défais mes jambes, je les redresse vers le ciel quand j’entends un petit bruit  près de moi, puis je sens le tapis bouger près de mon coude. Un serpent ! J’essaye de me rassurer : c’est peut-être une grenouille ! Je suis terrifié, mais : « si tu vois un serpent, fais des mouvements de serpents, lents et souples, et tu pourras en faire ce que tu veux. Je guette mes sensations pour affiner le diagnostique. Cela n’a pas de température, ce n’est pas froid en tout cas ! Je descends mes pieds avec le moins d’à coup possible, puis je pose mes genoux dans l’autre direction, je relève tout doucement la tête : un serpent ! Est-ce la queue, la tête ?! Il fait déjà sombre. Il me semble vêtu d’une robe camouflage vert de gris en nuage sur couleur plus clair.

Dans un premier temps, je ne bouge pas, perplexe. Puis j’éloigne mon coude micron par micron de son extrémité. A 10 cms je me calme un peu. Je bascule doucement mes fesses sur le côté opposé. Je saisis mes lunettes. Je ne le vois plus ! Je rapproche ma tête : il est là, à me regarder, enroulé sur lui-même. Tête blanche ou jaune, assez grosse par rapport au corps, de la largeur d’un pouce au maximum et longueur 30 cm UN SERPENT là où tout le monde court, joue au foot, au cerf-volant, là où les mamacha blanches sortent leurs criards pour bavarder entre elles de leur prochain week-end ! Peut-être qu’elles veulent s’en débarrasser justement ! Ce samedi soir, la « promenade des bagnards » était plus calme que les soirs de semaine. Cela explique peut-être qu’un animal aussi peu présentable ait pu s’infiltrer.

            Je l’observe, je le taquine pour qu’il bouge. Très lent lui aussi. J’arrache une racine dans le Maroni en guise de bâton, le provoque un peu, il se barre. Je reste secoué et derechef perplexe. Presque invisible de jour, on ne peut pas éviter de marcher dessus la nuit.

Dangereux ce gros vers ? Merde, le danger est là !

 

Etais-je particulièrement reptilien qu’il se soit senti en sécurité contre mon coude ruisselant d’eau de mer ?

 

Proverbe saramaka :« Je ne me suis jamais assis avec un ancien au chant du coq(1 ou 2 heures avant le lever du soleil) » : on ne m’a jamais transmis de connaissance sur les temps anciens. Les historiens saramaka doivent faire preuve de patience et rester longtemps assis auprès d’autorités de la mémoire qui distilleront leur savoir de manière elliptique t au compte goutte. Un historien est patient et pratique ainsi son esprit critique dans une culture illettrée.

Dichotomie fondatrice de l’identité historique marron(qui rejoint les dualisme comme la lutte des classes, des races, des sexes) :l’esclavage ou la liberté. Depuis leur conquête historique de la liberté, le monde dominé par les Blancs continue sur sa lancée, le risque est toujours là. Le barrage qui a englouti au Surinam la moitié des terres saramaka conquises de haute lutte pendant les premiers temps en est un exemple moderne.

La méfiance est devenue un comportement social. Il n’est pas original de tester ses proches : en leur rapportant une rumeur le concernant qu’on a inventé de toute pièce pour observer s’il va le divulguer, en cachant un objet pour voir si son épouse va le voler (exemples donnés par R.Price dans ses premiers temps).

« Eh alors le plus con de ces pauvres nègres dans son champs de coton sait que la seule façon de plaire à un blanc est de lui mentir ! »(Ralph Ellisson, Invisible Man) »